Par Raouf KHALSI
C’est dans la logique de l’Etat -Nation, c’est-à-dire le ciment de la souveraineté nationale.
Nation ballottée au gré des gradations doctrinales durant une décennie de feu, Etat réduit à sa plus simple expression, sinon clochardisé et sommé de s’immoler sur l’autel de la vanité pour transposer des intérêts partisans. Tout cela s’est fait en vertu d’un parlementarisme marron et d’une démocratie éternellement fantasmée.
Aujourd’hui, on en est là à comptabiliser les dégâts et les années perdues toutes faites de déconstructions et de déni. Déni d’Etat, cela s’entend et le seul moyen d’enclencher la reconstruction d’un Etat réduit en lambeaux durant la fameuse décennie, c’est de briser le plafond de verre.
Entre Raison d’Etat et Etat de la Raison, c’est un fil ténu. On ne peut pas en effet indéfiniment fonctionner à l’affect, se contenter d’expédier des aphorismes ou, tout le moins user d’allégories pour nous situer face à une demande d’Etat, face aussi à une offre généreuse et providentielle d’Etat.
On s’est beaucoup plaint chez nous de l’absence d’Etat durant une décennie obscure ou, tout le moins, on s’est quelque part résigné à l’évidence oppressante d’un Etat profond et d’une administration (qui a toujours été depuis le XIX e siècle la toile de fond de l’Etat) infiltrée et clientéliste.
Or, les Tunisiens se sont toujours identifiés à un Etat fort, l’Etat régulateur et en un système présidentiel, leur roman des origines. Et si, aujourd’hui et depuis 2019, l’Etat resurgit cela signifie que c’est le peuple qui l’a voulu et il l’a manifesté à travers les urnes.
Parce que, finalement, la chute de l’Etat-Léviathan de Ben Ali (l’Etat-Léviathan étant une appellation du constitutionnaliste Georges Burdeau), cette chute aura donc permis « la montée » (euphémisme) d’un non-Etat, du fait d’une décapante ploutocratie. Le parlementarisme rongeur et corrosif infléchi par le parti dominant durant cette décennie où tout se vendait et où tout se rachetait, aura tout bonnement anéanti les réquisits du sens même de l’Etat. Au nom de la démocratie, on a anéanti l’Etat.
Aujourd’hui, les Tunisiens formulent ouvertement une « demande d’Etat ». Et, quelque part aussi, un certain protectionnisme si ce n’est la fin de la déréglementation, celle-là même qui a anéanti l’économie nationale et nous a placés dans la situation très peu commode de chercher à arrondir les angles avec le FMI.
Kais Saied cherche à asseoir de nouvelles bases pour un Etat capable de rétablir tous les équilibres socioéconomiques : c’est à son honneur. Et c’est aussi son rôle. Sauf que la reconstruction de cet Etat se heurte encore à des obstacles invisibles sur un chemin miné.
Et c’est là que doit émerger de nouveau la force d’interposition d’une administration aujourd’hui décriée parce qu’on l’a amputée de ses mécanismes au point de lui faire perdre sa traditionnelle capacité de résilience.
Une administration citoyenne et performante renvoie à un Etat fort. Pas l’Etat-Léviathan, et pas non plus l’Etat-oppresseur. Ce n’est d’ailleurs pas dans la trajectoire conceptuelle de Kais Saied. Comme disait Paul Valery, « …Si l’Etat est faible, nous périssons ».
L’Etat-Nation, ciment de la souveraineté nationale, disions-nous ? C’est la donne fondamentale pour que s’opère la symbiose tant recherchée.
En une décennie après 2011, le peuple en a été réduit à un cobaye sur lequel s’exerçaient toutes les expérimentations et toutes les alchimies au point d’y avoir égaré tous ses repères et toutes ses « religions ». Et le tout sur fond de révisionnisme historique, tandis que la révolution était trahie par les tribuns récupérateurs.
L’urgence est donc aujourd’hui d’exhumer les fondamentaux de la révolution et les raisons ayant conduit à la défatalisation de l’Histoire.
Pour ce faire, il faut que la conscience populaire réapprenne à espérer en des lendemains meilleurs.
Parce que le tournant du 25 juillet aura administré la preuve qu’il n’existe guère de fatalité historique et que l’Etat providentiel est toujours possible dans les contours de la souveraineté et de la résurgence de l’Etat-Nation