Par Slim BEN YOUSSEF
Trois adolescents sont morts à Mezzouna. Trois élèves du baccalauréat. Fauchés dans l’enceinte même de leur lycée, quand un mur s’est effondré sur eux. Vivaient-ils contre le mur ? Pour eux, cela aura été littéral : ils n’ont pas affronté l’absurde ; ils n’ont pas rencontré Camus. Mais comme dans un mauvais rêve, ils se heurtèrent à ce mur-là — celui qui tombe. Qui est tombé, comme s’il les attendait. Condamnés sans procès, écrasés par l’oubli, ils n’ont pas rencontré Sartre, là non plus. Et pourtant : il y a des morts qui disent le chaos du monde, et d’autres qui disent son abandon.
Nos trois enfants de Mezzouna ne sont pas morts d’un accident. Ils sont morts d’indifférence. Morts d’un pays qui laisse pourrir ses écoles. Morts d’un système pour qui l’éducation est un discours, pas une priorité. Morts pour rien — et pourtant, ce rien dit tout.
Ce n’était pas un simple mur. Ce mur-là était porteur. Il portait ce que toute école devrait porter : un avenir, une promesse, un socle de confiance. Il s’est effondré — comme s’effondre, lentement, silencieusement, tout ce que la République prétend encore garantir.
Le lycée de Mezzouna n’est pas une exception. Il est le miroir d’une école publique à bout de souffle, fissurée de partout, rafistolée à la va-vite, reléguée aux marges. On savait que ce mur penchait. Comme on sait que d’autres murs penchent. Partout. Ailleurs. Encore. Mais on a attendu. Et maintenant, il faudra compter les morts.
Chaque brique tombée ce jour-là pèse une tonne. Car elle charrie ce que nous refusons de voir : les hiérarchies absurdes de nos dépenses publiques, les audits qu’on ne fait pas, les budgets qu’on rabote, les élèves qu’on oublie.
Ils n’étaient pas juste another brick in the wall. Ils n’étaient pas cette brique anonyme dans un système qui broie. Ils étaient des adolescents. Des sourires du matin. Des cartables trop grands pour leurs épaules. Des cahiers encore pleins de vie. Et maintenant, ils sont des tombes.
Il faut entendre la révolte. Car même au cœur de l’absurde, il reste cela : le refus. Refuser que l’école devienne un piège. Refuser que la promesse d’émancipation se transforme en sentence. Refuser cette inertie assassine — qui tue sans bruit, sans gloire, sans responsabilité.
On ne peut plus se contenter de pleurer. Il faut exiger. Un audit national des infrastructures scolaires. Une enquête indépendante. Des responsabilités clairement nommées. Des excuses publiques. Un sursaut collectif.
Parce que ce n’est pas un mur qui s’est effondré. C’est la confiance.
Parce que ce n’est pas une école qui s’est effondrée. C’est le mythe fondateur de la République.
Et parce qu’ils ne sont pas morts pour rien — à condition, enfin, que nous ayons le courage de regarder le mur en face.