Par Slim BEN YOUSSEF
Il y a des moments où les fissures deviennent visibles. Ce qui craquait à bas bruit depuis des années s’effondre soudain, au grand jour. Le mur de Mezzouna n’est pas qu’un mur. Il est le symptôme d’un affaissement plus large : celui d’un lien qui se défait entre l’État et ceux qu’il est censé protéger.
On pourrait répondre à hauteur d’événement : sécuriser les écoles, auditer les murs, renforcer les normes. Mais ce serait, une fois de plus, cantonner la réponse aux limites du choc. Le sursaut ne peut être partiel. Il doit être plus vaste, plus profond, plus durable.
Nous vivons, pour reprendre les mots de Gramsci, un de ces entre-deux où l’ancien monde vacille, sans que le nouveau n’ait encore pris forme. Moment incertain, mais fertile, où l’émotion peut se faire lucidité, et la colère, volonté. Le moment idéal non pour colmater les murs, mais pour reprendre les fondations d’un pays résigné, accoutumé à l’évitement, au provisoire, à l’impunité.
Mais ce moment de possible refondation peut aussi engendrer des monstres. Dans cet entre-deux gramscien, les drames deviennent parfois le terreau d’autres effondrements : ceux du langage, de la décence, de la vérité. Il y a, dans ces moments suspendus, des voix qui manipulent l’émotion, attisent les rancœurs, recyclent la peur. Elles occupent le vide laissé par l’action défaillante, et font commerce de la confusion.
Face à cela, il ne suffit pas d’alerter. Il faut proposer. Et construire.
C’est cela, la tâche : reprendre les fondations. Ce drame rappelle que le service public n’est ni un luxe, ni un fardeau budgétaire, mais le cœur vivant de la République. L’école, la santé, les transports, la justice : autant de biens communs à réhabiliter, après des décennies de recul, d’abandon, de démantèlement patient sous couvert de rationalité.
Le sursaut attendu n’est pas un sursaut d’autorité, mais de responsabilité. Et de justice. Une justice qui commence par garantir à chacun, partout, les conditions minimales de sécurité, de santé, de savoir, de dignité. C’est cela, une République qui tient parole.
Refonder exige du courage : rompre avec l’habitude du provisoire, regarder les failles en face, et choisir d’y bâtir.
C’est le moment, non de gérer l’existant, mais de repenser autrement ce qui tient ensemble un pays.
Refonder le pacte social, c’est redonner chair et sens à la promesse républicaine. Rien de moins.
Il est encore temps. À condition de vouloir autre chose que du rafistolage. Il faut accepter de reconstruire. Non à neuf. Mais à vif.