C’est une règle empirique, un constat avéré : le deuil, en Tunisie, est souvent suivi d’un ballet bien rodé – où chaque acteur connaît son rôle. Une tragédie appelle un comité. Un drame, une cellule de crise. Une mort, un chantier. Mais rarement un sursaut. Après le fracas, le temps du faire – ou du faire semblant.
Mais cette fois, le décor s’est effondré. Littéralement. Trois élèves sont morts. Contre un mur. Dans l’enceinte d’un lycée.
Il ne suffit pas d’évacuer les gravats. D’honorer leur mémoire avec une plaque. Ce n’est pas d’un hommage dont ils ont besoin. C’est d’un sursaut. Un sursaut d’État. Un sursaut citoyen. Un sursaut collectif. Tâchons, pour une fois, de reconstruire avec sérieux. Sinon, leur mort servira de fondation à une nouvelle couche d’oubli.
Il faut commencer par le commencement : dresser l’état réel du bâti scolaire. Lycée par lycée. Mur par mur. Publier ces diagnostics. Les rendre lisibles, accessibles, surveillés. Il faut sécuriser, provisoirement s’il le faut, les établissements les plus fragiles. Envoyer des ingénieurs avant d’envoyer des discours.
À moyen terme, il faut un budget d’exception. Un effort national. Que l’on mobilise les régions, les communes, les bailleurs, les architectes, les corps intermédiaires. Chaque année, pendant cinq ans, des dizaines d’établissements doivent être entièrement rénovés. Qu’on transforme la douleur en impulsion.
Mais il faut aussi du long terme. Un code du bâti scolaire. Une cartographie des risques. Une réforme de la maintenance. Une instance indépendante qui vérifie, suit, alerte, rend compte. L’école est sacrée. On ne négocie pas la sécurité d’un sanctuaire.
Reste un risque, bien réel : que tout cela se dissolve. Dans le temps. Dans l’oubli. L’ingénierie de l’inaction existe. Elle sait meubler l’émotion avec de fausses urgences. Elle sait anesthésier l’indignation avec des rapports, des annonces, des tournées. À ce piège, nous ne devons plus céder.
Ils sont morts. Que cela serve. Non pas à faire de belles phrases. Mais à bâtir de vrais murs. Solides. Contrôlés. Pérennes. Ils sont morts pour rien – si rien ne change. Mais s’ils deviennent l’étincelle d’un vrai sursaut, alors, peut-être, notre parole pourra-t-elle tenir debout.
Il faut invoquer Éluard : « si j’écris, c’est pour vous ». Aujourd’hui, nous écrivons pour eux. Pour que leur silence oblige. Pour que l’oubli n’ait pas le dernier mot.
Pour qu’on les honore, enfin, en rebâtissant, pierre par pierre, une école debout.