Par Raouf KHALSI
C’est une télénovela inédite : la première centrale syndicale du pays, celle qu’on appelait « la force de frappe », plus que jamais divisée dans un bras de fer entre Taboubi et acolytes et une aile dissidente qui s’insurge contre l’establishment (le bureau exécutif), un establishment devenu pour le moins frileux. Il est attaqué de partout, ce qui fait qu’il use de manœuvres et de contre-manœuvres pour gagner du temps et aller jusqu’au bout d’un mandat plus que jamais parsemé d’embûches, et il l’aura voulu. L’UGTT s’en retrouve banalisée.
Elle y est en plein : hautes turbulences, desseins chimériques, fausse perception des réalités et engrenages qui n’en finissent pas de broyer une crédibilité gravement entamée. Il n’existe pas de formules assez pertinentes pour décrire l’état de déliquescence dans lequel se débat l’UGTT, ce corps malade au chevet duquel accourent les anciennes figures historiques, les guérisseurs de tout bord sans réussir à la sortir de l’impasse. Houcine Abbassi, oui le Nobel de la paix, n’est pas parvenu, il y a deux mois, pour charismatique qu’il est, à trouver le filon de la réconciliation entre une équipe dirigeante décriée et les dissidents tenaces et absolument intraitables.
Au demeurant, sommes-nous face à un cas de figure inédit ? C’est sans doute la première fois dans sa longue histoire que se pose le problème lancinant de la légitimité. Car il se trouve que c’est justement pour la première fois qu’un bureau exécutif « se fait élire » et exerce « ses prérogatives » dans un troisième mandat au prix d’un subterfuge ayant consisté dans un authentique « tripatouillage » de l’article 20 des statuts fondateurs qui, pourtant, n’autorise que deux mandats.
Aurait-il vécu plus longtemps, le grand Hached lui-même n’aurait pas usé de sa légitimité historique pour s’éterniser à la tête de la centrale.
La crise actuelle tient donc à un conflit de légitimité au sein d’une centrale syndicale qui a pourtant ses propres mécanismes démocratiques internes scrupuleusement respectés même dans les pires moments de crises et d’affrontements avec le régime de Bourguiba avant le tournant de l’allégeance faite par Ismail Sahbani à Ben Ali. Là, à l’époque, c’était plutôt le pouvoir lui-même qui avait intronisé Sahbani au nom d’une évanescente paix sociale. La crise muette n’en couvait pas moins sur un feu de braise.
L’UGTT aura, elle aussi, attendu le 14 janvier pour reprendre du poil de la bête. Et elle a pu infléchir le cours des choses au sein du quartet pour contrecarrer le pouvoir tentaculaire de la Troïka. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
Il se trouve que le bureau exécutif n’est pas en odeur de sainteté. Et, à force d’avoir sacrifié au tumulte politique, il a perdu sa vocation contractuelle.
Quel est, en fait, le positionnement de l’UGTT en tant qu’organisation vis-à-vis du pouvoir ? Le syndicat lui-même ne le sait pas.
Parce qu’il se trouve que l’Etat s’est choisi une vocation sociale par excellence. Et que cet Etat social s’adresse au peuple à coups de réformes aux antipodes du nihilisme.
Maintenant, pour résumer le tout, la conclusion se dégage d’elle-même comme par une évidence géométrique : l’Etat fait du social quantitatif (et non pas qualitatif, option qui crée des disparités sociales), tandis que l’UGTT est encore en butte à ses options politiques. Pourtant, le vent a tourné. Et tout, absolument tout, est question de légitimité.
Grommelant vaguement, la centrale syndicale veut par exemple avoir son mot à dire dans la réforme du Code du travail. En d’autres termes prendre le train en marche ; or, l’Etat qui a pris cette initiative travaille avec un logiciel qui ne s’apparente pas aux schémas de pensée du syndicat. Peut –être aussi parce que le monde du travail et des travailleurs, d’une façon générale, bascule du côté de l’Etat-providence parce qu’il est crédible et résolument porté sur la justice sociale. L’UGTT, elle, reste confondue dans ses brumes passéistes et toujours avec le même modus operandi. Et, à la fin des fins, quel sera le prix pour se faire une nouvelle virginité ?