Par Slim BEN YOUSSEF
Rien ne dit mieux la santé d’une nation que la vigueur de sa classe moyenne. Parce que sa vigueur dit plus que les chiffres : elle raconte le contrat social d’un pays. Elle soutient, transmet, stabilise. Mais qu’elle vacille, et la nation chancelle.
Qu’est-ce qu’une classe moyenne forte, majoritaire et prospère ? Un filet de sécurité, une rampe de lancement, une ceinture de stabilité pour la nation. C’est la colonne vertébrale de la République.
Le pouvoir d’achat, lui, ne ment pas. Il creuse ou apaise, enraye les colères ou aiguise les rancunes. Lorsqu’il s’effondre, il entraîne dans sa chute la dignité, l’ancrage et l’espérance. Il faut donc redonner du souffle aux revenus : hausser les salaires, ajuster les aides, dompter l’inflation, repenser l’impôt. Et faire de la politique sociale autre chose qu’un supplément d’âme : le cœur battant de l’économie, là où justice et croissance ne font plus frontière. Car une croissance sans redistribution est une illusion comptable qui oublie les existences – une abstraction prospère sur des réalités précaires.
On oublie trop souvent que l’idéal républicain tient parfois à un détail : un bus accessible, une salle de classe chauffée, un rendez-vous médical tenu. Et l’on oublie qu’une économie forte commence par des ventres pleins. Que c’est dans le couffin et l’assiette que s’ancre la souveraineté. Que la consommation intérieure n’est pas un luxe mais le métabolisme vital de la nation : elle suscite l’investissement, enrôle la production locale, féconde les territoires.
Alors il faut considérer ceci : une classe moyenne forte – ardente, ascendante, agissante – n’est ni un héritage ni un hasard. C’est un pari, une dynamique, une volonté. Moins un statut qu’une trajectoire, moins un état qu’une condition en mouvement. C’est une impulsion, un équilibre, une promesse à tenir.
Et cette impulsion, en Tunisie, tarde à devenir un cap stratégique. Mais elle reste à portée. Encore faut-il agir. Certes, l’État ne peut pas tout. Mais il peut beaucoup. Encore faut-il qu’il fasse ce qu’il peut. Qu’il réactive son interventionnisme. Qu’il réarme ses instruments. Ce n’est pas le coût du soutien qu’il faut craindre, mais le prix du vide. Car, au fond, la République s’éteint là où les dépenses cessent d’être des droits publics pour devenir des dettes privées.
La classe moyenne ou le chaos ? Il n’y a pas lieu de choisir : la prospérité se partage ou s’effondre.