Les têtes changent et se succèdent à la tête du Conseil de l’Ordre des ingénieurs tunisiens, alors que les problèmes essentiels persistent. La nouvelle équipe dirigeante, en place depuis dimanche dernier, parviendra-t-elle à changer l’état des lieux et à rendre à ce métier ses lettres de noblesse ?
L’Ordre des ingénieurs tunisiens a un nouveau président en la personne de Mohsen Ghrissi . Toutefois, même si les noms et les têtes se relaient à la tête de cette institution, le flou reste de rigueur concernant beaucoup de dossiers vitaux restés sans véritables solutions depuis de longues années.
Il faut reconnaitre que la situation actuelle des ingénieurs en Tunisie est loin de valoir leur importance et leur contribution dans tout ce qui se fait et se décide dans le pays. Et c’est ce qu’a révélé Kamel Sahnoun, le président sortant de l’Ordre des ingénieurs qui a, encore une fois, tiré la sonnette d’alarme : « En plus d’une injustice flagrante en matière de rémunération, de nombreux professionnels du secteur font aujourd’hui face à une pression croissante, voire à des poursuites judiciaires, dans un contexte marqué par la confusion des responsabilités, la lenteur administrative et un encadrement légal inadapté. !
Sahnoun a regretté le fait que les ingénieurs se trouvent confrontés à l’incapacité de l’administration à suivre le rythme et les exigences des projets techniques puisque les ingénieurs n’ont souvent pas la main sur le pilotage des projets. Ce sont des gestionnaires ou des administrateurs qui prennent les décisions sans toujours maîtriser les implications techniques ».
Peut-on lier ces difficultés aux autres raisons qui poussent les ingénieurs à quitter le pays ? « Ce sont les mêmes ingénieurs qui, une fois installés au Canada, dans le Golfe ou en Europe, brillent par leur compétence. Cela prouve que le problème n’est pas lié à leur formation ou à leur compétence, mais à l’environnement professionnel en Tunisie. 6500 ingénieurs quittent le pays chaque année et ça se passe de commentaire ! ».
Mohsen Ghrissi , le nouveau président du conseil de l’Ordre, a pour sa part dressé un bilan sans concession des défis auxquels fait face la profession. Il a déploré une hémorragie continue des compétences, des rémunérations jugées indignes, une formation en stagnation et des projets nationaux qui peinent à retenir les talents. Le nouvel élu a également fustigé l’immobilisme entourant l’accord du 16 février 2021, pourtant censé acter une reconnaissance officielle des revendications de la profession. Ce texte, tout comme le statut de base des ingénieurs, demeure lettre morte malgré son importance cruciale pour des dizaines de milliers de praticiens.
Pour la relance des accords gelés
D’ailleurs, il a promis de mener une offensive tous azimuts pour débloquer les dossiers en suspens. La relance des accords gelés, à commencer par celui de février 2021, figurera au premier rang de ses priorités. Il compte également exiger des pouvoirs publics une clarification sans délai sur le sort réservé au statut de base, dont l’adoption traîne depuis des années.
L’amélioration des conditions matérielles des ingénieurs, particulièrement dans le secteur privé, constituera un autre volet essentiel de son action. Le doyen entend par ailleurs moderniser en profondeur les dispositifs de formation pour les aligner sur les standards internationaux et renforcer la place des ingénieurs dans les instances décisionnelles, que ce soit à l’échelle locale ou nationale.
Il y a lieu de rappeler que beaucoup d’ingénieurs sont contraints, pour éviter le chômage, d’exercer en percevant des salaires de simples techniciens (salaire parfois inférieur à 800 dinars par mois), dans des entreprises privées qui tirent profit de cette situation et du flou qui enveloppe le statut de l’ingénieur !
Sur sa lancée, le nouveau patron des ingénieurs a lancé un appel solennel à ses pairs, les exhortant à s’activer davantage et à faire preuve de plus de mobilité et de présence : « Place à la dignité, place à la justice », a-t-il clamé à plusieurs reprises lors de son discours après son élection : « Nous ne baisserons pas les bras, mais nous affirmons également notre attachement indéfectible à une Tunisie où les ingénieurs pourraient enfin exercer leur métier dans des conditions dignes de leur savoir-faire ».
Il faut également rappeler que d’après les chiffres annoncés par le conseil de l’Ordre, 39 000 ingénieurs tunisiens ont quitté le pays sur un total de 90 000 ingénieurs inscrits. Un chiffre énorme qui doit donner à réfléchir aux responsables du secteur dans le pays.
Kamel ZAIEM