À l’approche des vacances estivales, une inquiétude croissante s’installe parmi de nombreuses familles tunisiennes, celle de ne plus pouvoir accéder aux plaisirs élémentaires d’un séjour à la mer ou autre. Entre tarifs hôteliers en constante augmentation, loyers saisonniers inabordables et pression économique généralisée, partir en vacances devient, pour la classe moyenne, un luxe de plus en plus hors de portée. Cette situation préoccupante a récemment été soulevée par la vice-présidente de l’Organisation de défense du consommateur (ODC), qui tire la sonnette d’alarme sur les dérives du marché touristique. Selon ses observations, les tarifs pratiqués par les établissements hôteliers locaux atteignent des niveaux difficilement justifiables, surtout dans le contexte économique actuel, marqué par une érosion persistante du pouvoir d’achat.
L’un des constats les plus frappants mis en lumière par l’ODC est l’écart considérable entre les offres destinées aux étrangers et celles proposées aux citoyens tunisiens. Alors que les visiteurs venant de l’étranger bénéficient de packages attractifs et subventionnés, intégrant hébergement, restauration et transport à des prix compétitifs, les familles locales doivent faire face à des tarifs affichés bien plus élevés – et sans réduction.
Ce déséquilibre s’explique en partie par une politique commerciale orientée vers le tourisme international, historiquement considéré comme un levier économique prioritaire. Toutefois, dans un contexte de stagnation ou de baisse des réservations étrangères, les acteurs du secteur se tournent de plus en plus vers la clientèle nationale pour compenser les pertes… tout en continuant à lui appliquer des prix pensés initialement pour des marchés mieux dotés financièrement.
Résultat : une famille tunisienne qui souhaite passer une semaine dans un hôtel balnéaire doit débourser une somme souvent équivalente à plusieurs mois de salaire cumulé, ce qui force nombre de ménages à revoir leurs projets estivaux, voire à les annuler purement et simplement.
Logements saisonniers et plages privatisées : l’autre face du problème
En parallèle des prix pratiqués dans l’hôtellerie, les locations d’appartements et de maisons de vacances suivent une courbe similaire. Dans les zones côtières très demandées – notamment sur les plages du Sahel, de Bizerte ou de Djerba –, les loyers saisonniers explosent dès les premiers jours de l’été. Une location modeste peut atteindre des montants exorbitants, pour une qualité parfois médiocre et sans garanties.
À cette pression économique s’ajoute un phénomène de plus en plus décrié : l’exploitation commerciale du littoral par des opérateurs privés ou des particuliers qui, sans autorisation claire, installent transats, parasols et buvettes sur des plages publiques, les rendant partiellement ou totalement inaccessibles aux familles modestes. Pour avoir droit à quelques mètres carrés de sable, le consommateur est souvent contraint de payer, encore et toujours.
Ce grignotage progressif de l’espace commun participe à une forme d’exclusion indirecte, où les vacances deviennent un produit de luxe au lieu de rester un droit social. Ce phénomène, dénoncé depuis plusieurs saisons, s’intensifie et nuit profondément à l’idée d’un tourisme équitable et inclusif.
L’endettement : un recours devenu banal pour partir en vacances
Face à cette réalité, un nombre croissant de familles tunisiennes n’hésitent plus à contracter des crédits à la consommation pour financer leurs vacances. Ce recours, autrefois rare et réservé à des événements exceptionnels, tend aujourd’hui à se banaliser. Fêtes, rentrées scolaires, mariages et désormais vacances : chaque moment de vie devient une charge supplémentaire pour des ménages déjà sous tension financière permanente.
Cette fuite en avant par l’endettement aggrave la précarité de nombreuses familles, piégées entre le besoin légitime de repos et de loisirs, et les contraintes d’un marché touristique peu régulé. L’aspiration à « changer d’air » pour quelques jours se transforme ainsi en un calcul douloureux, voire en renoncement.
Appel à une politique plus inclusive pour le tourisme intérieur
Dans ce contexte préoccupant, l’Organisation de défense du consommateur appelle les autorités à prendre des mesures concrètes pour préserver le droit aux vacances des citoyens tunisiens. Elle plaide notamment pour une régulation plus rigoureuse des prix, une limitation des pratiques commerciales abusives sur les plages, et la mise en place de programmes d’encouragement au tourisme local.
Des initiatives publiques pourraient, par exemple, subventionner les séjours familiaux ou soutenir les hôteliers qui réservent une part de leur capacité à des prix adaptés au revenu moyen des Tunisiens. Il serait également nécessaire de renforcer les contrôles sur les locations saisonnières et d’assurer la libre accessibilité aux plages publiques.
Les vacances ne devraient pas être un privilège réservé à une minorité. Elles sont un moment de repos, de partage familial et de bien-être essentiel. Aujourd’hui, la flambée des prix dans le secteur touristique prive une large partie de la population de ce moment attendu de l’année. Face à cette injustice silencieuse, il est urgent que l’Etat réaffirme son rôle de régulateur et garant du droit aux vacances pour tous.
Leila SELMI