Par Slim BEN YOUSSEF
En 2003, l’histoire se déployait dans un décor tragique. Washington brandissait des preuves imaginaires, l’Occident s’alignait par réflexe. À l’ONU, une fiole de lessive suffisait à repeindre l’Irak de Saddam Hussein en menace existentielle. Colin Powell parlait, le monde acquiesçait. À l’époque, il avait fallu un effort concerté de mauvaise foi pour imposer le mensonge. Un mensonge d’État, collectif, prémédité – relayé par des rédactions consentantes et des dirigeants sans scrupules. La farce, disait Hegel, succède à la tragédie.
Nous y sommes.
En 2025, la scène se rejoue. Les frappes devancent le récit, le récit bégaie, la répétition devient dispositif. C’est au tour de l’Iran de servir à la fois de cible et d’alibi, de prétexte et de dessein. Benyamin Trump – ou est-ce l’inverse ? – psalmodie sa menace fétiche : la bombe iranienne, toujours imminente, toujours repoussée, toujours utile. Elle n’a pas explosé, mais la narration, elle, s’ébrèche.
La guerre, privée alors de fiction stable, se heurte à des spectres : l’AIEA fuit le rôle qu’on lui assigne, les médias trébuchent sur leur propre lexique, les alliés récitent en bégayant. Même les soutiens d’hier hésitent à réciter. Et les silences d’aujourd’hui s’enregistreront demain comme preuves sonores d’une lâcheté parlée.
En 2003, Chirac et Villepin avaient marqué l’histoire d’un refus. Blair, Berlusconi et Aznar, eux, n’ont laissé que le souvenir d’un alignement honteux. Cette mémoire-là pèse encore – d’autant que l’amnésie, aujourd’hui, est plus difficile qu’avant.
Car la mémoire a changé de peau : immédiate, nerveuse, virale. Elle s’écrit en temps réel. C’est la mémoire des réseaux sociaux – des fils d’actualité. Elle capture. Elle archive. Elle circule. Elle ressasse. Elle transforme le soupçon en trace, la trace en soupçon. Peut-être est-ce là le seul garde-fou de notre temps : une mémoire sans centre, sans oubli, sans maître. Une mémoire qui appartient à la durée.
Deleuze disait que l’actuel ne se répète pas, il s’actualise autrement. Ici, par la persistance numérique, la ritournelle du doute, le retour en boucle des images. En 2003, il fallait fermer les yeux pour croire. Aujourd’hui, il faut les détourner pour ne pas voir.
Alors, l’histoire recommence à découvert. La tragédie cherchait des héros, la farce n’attend que des témoins. L’une ensevelissait les preuves, l’autre les multiplie. Et peut-être que cette époque, privée de justice, hérite d’un autre absolu : la résistance.