Par Slim BEN YOUSSEF
On ne manque pas de médecins en Tunisie. On manque de ce qu’il faut pour les garder : d’outils, de lois, de respect. Notre pays exporte ses meilleurs praticiens au monde entier, mais peine à offrir à ses malades autre chose qu’un système en panne, en coma administré. L’excellence est un produit d’exportation ; la misère, un service public. Le paradoxe est vieux, certes – il est connu, ressassé, digéré – il n’en est pas moins scandaleux.
La santé publique ne meurt jamais tout à fait. Elle stagne, elle s’effiloche, elle attend. Elle décline sous le poids des renoncements. À force de privatiser, on dépolitise. À force de différer, on déshumanise. À force d’oublier, on précarise.
Il faut dire les choses plus simplement : la défaillance du public est devenue le fonds de commerce du privé. La clinique a fait d’une carence une rente, d’un besoin une niche. On y vend, à prix d’or, ce que l’État ne garantit plus : l’attention, la qualité, l’IRM. La médecine, désormais, soigne ou sélectionne.
Reconstruire la santé publique ; cela se finance, cela se pense, cela s’assume. Il faudra des milliards, des chantiers, et des convictions entières. Mais surtout, il faudra inverser une logique : replacer le soin au cœur – non plus comme dette payable, mais comme dette imprescriptible.
Redonner leur dignité aux médecins, c’est leur offrir des droits stables, des lieux sûrs, un respect durable. C’est aussi reconnaître une évidence : un hôpital où l’on manque de tout est tout sauf un lieu de soin.
Les jeunes médecins ont parfaitement raison : un pays qui laisse partir ses soignants et pourrir ses hôpitaux abandonne sa propre idée de justice. Il capitule devant l’habitude de s’en accommoder. Il entérine une défaite contre l’idée même de service public.
La Tunisie rayonne aujourd’hui par ce qu’elle perd : ses praticiens. Elle s’enorgueillit d’un savoir-faire qu’elle exile. Notre pays exporte ses soignants comme on exporte un luxe qu’il ne peut plus se payer.
Le paradoxe tunisien ? Des médecins d’élite dans des hôpitaux en ruine.