Par Slim BEN YOUSSEF
Le dinar peut, lui aussi, rêver de grandeur. Il peut passer du statut d’indicateur anxieux à celui d’outil politique. Dans ce Maghreb coincé entre les devises des autres et ses propres inerties, une monnaie commune entre la Tunisie, l’Algérie et la Libye ne relève pas d’un excès d’idéalisme, mais d’un défaut de courage.
Un dinar à trois têtes ne réglera rien, disent les frileux. Ils ont raison – et tort. Crise endémique en Libye, économie de rente en Algérie, précarité formelle en Tunisie : autant de pathologies qu’aucune monnaie ne guérit, mais qu’une monnaie unique peut inscrire dans une grammaire de stabilisation collective. Non pas effacer les déséquilibres, mais leur offrir un principe de cohérence – une scène commune. Un cadre pour les négocier, plutôt qu’un alibi pour les taire.
Mutualiser les devises et les déséquilibres, c’est inventer une souveraineté concertée. Refuser, par principe, c’est préférer l’isolement inefficace à l’interdépendance constructive.
Doit-on réinventer tout un monde ? Commençons par cesser de tout subir. Par transformer une faiblesse en levier, un morcellement en stratégie. C’est une géopolitique à bâtir, un rapport de force à inverser.
Un saut vers l’inconnu ? Un pas vers le réel.
La monnaie est plus qu’un moyen d’échange, c’est aussi un échange de moyens. C’est un horizon, une mémoire, une fiction fondatrice. La livrer aux marchés, c’est monétiser nos renoncements. La penser en commun, c’est organiser une solidarité contrainte, mais féconde.
Oui, les défis sont immenses : asymétrie des économies, divergence des trajectoires, instabilité chronique chez nos voisins libyens. Les obstacles sont connus. Mais l’évidence est là, nue et ironique : l’utopie coûte moins cher que l’habitude.
Plus qu’un rêve maghrébin, plus qu’une passion nostalgique, l’intégration régionale est une rationalité géopolitique – une nécessité stratégique dans un monde fractionné, brutal, cynique.
Un dinar commun se mûrit, se discute, se rêve lucidement. Il est cette fiction sérieuse qui engendre un réel différent. Une projection politique qui oblige à revoir l’ordre des choses. Trois conditions pour le faire advenir : une ambition tranquille, une coordination longue, une impatience organisée. Rien de spectaculaire – mais tout ce qu’exige le réel.
Ce que nous n’avons pas su faire à cinq – à quatre, à trois – faisons-le à deux. En attendant mieux. Lançons une entente partielle, mais opérante. L’ambition peut survivre au nombre.