Alors que plusieurs associations de défense des droits humains appellent à l’amendement du décret 54 et que le député et membre du bloc national souverain Yassine Mami, a assuré qu’il y avait des discussions au sein du Parlement autour de la révision du décret 54, le chroniqueur à la chaîne Attessia Riahd Jrad, a été catégoriquement contre cet amendement, tant pour des raisons juridiques que politiques, estime-t-il. Il a précisé en effet, sur sa page Facebook, qu’il s’agit d’une « tentative d’atteinte au processus du 25 juillet, allant même jusqu’à la comparer à la tentative de complot qui a été manigancée par les députés de l’ancien parlement dissous le 30 mars 2022, dans le but d’abolir tous les décrets promulgués par le président de la République depuis le 25 juillet ». Il a également précisé « qu’il n’est juridiquement pas possible d’abroger ou amender ledit décret en vertu de l’arrêté présidentiel 117. Seul le président de la république peut l’amender ».
En réponse certains observateurs font remarquer que « d’abord sur le plan juridique, l’arrêté 117 auquel fait référence le chroniqueur précité, est devenu caduc, avec l’installation de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et ce par référence à l’article 139 de la constitution en vertu duquel « Le décret Présidentiel n°2021-117 du 22 septembre 2021, relatif aux mesures exceptionnelles, continue à s’appliquer dans le domaine législatif, jusqu’à ce que l’Assemblée des représentants du peuple prenne ses fonctions après l’élection de ses membres ».
Proposition d’amendement par 40 élus
D’autant plus que selon l’article 67 de la Constitution « Les députés ont le droit de soumettre des propositions de loi, à condition qu’elles soient présentées par au moins dix députés ». En l’occurrence le député Yasser Mami a précisé que « l’initiative d’amendement du décret 54, qui bénéficie de l’appui de 40 élus représentants de cinq blocs parlementaires et des députés hors groupe, a été déposée mardi dernier au bureau d’ordre de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) afin d’être adressée aux Commissions concernées pour examen ». Cela concerne surtout l’amendement de l’article 24 dudit décret qui « punit de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 50 mille dinars quiconque utilise sciemment des systèmes et réseaux d’information et de communication en vue de produire, répandre, diffuser, ou envoyer, ou rédiger de fausses nouvelles, de fausses données, des rumeurs, des documents faux ou falsifiés ou faussement attribués à autrui dans le but de porter atteinte aux droits d’autrui ou porter préjudice à la sûreté publique ou à la défense nationale ou de semer la terreur parmi la population ». Selon le député le député de la Ligne nationale souveraine à l’Assemblée des représentants du peuple Mohamed El Ali : « le décret 54, relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication, qui a été promulgué dans des conditions exceptionnelles, doit être amendé et ce, dans le but de supprimer l’article 24 de ce décret qui n’est pas conforme à la convention de Budapest sur la cybercriminalité, ratifiée par la Tunisie ». En fait, c’est notamment l’interprétation de certaines publications sur les réseaux sociaux, qui peuvent être considérées comme portant préjudice à la sûreté publique ou à la défense nationale. Bien sûr qu’il est nécessaire de préserver la sûreté publique et la dignité nationale. Concernant les publications que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les journaux, elles sont régies par le décret-loi 115 de 2011 sur la liberté de la presse dans lequel des peines de prison sont prévues dans ce cas et il y a tout un chapitre mais sur « les infractions commises par voie de presse ou par tout autre moyen de publication » dans lequel sont prévues des sanctions d’un à trois ans d’emprisonnement par référence au code pénal. Ce décret-loi n’est pas abrogé par le décret 54, ni également les sanctions prévues par le code pénal non plus, concernant la diffamation, l’atteinte à la sûreté publique et à la dignité nationale.
« Ambiguïté de l’article 24 du décret 54 »
Or selon plusieurs observateurs, plusieurs points sont à clarifier dans l’article 24 du décret 54 dont notamment la définition de « la rumeur » ou « la fausse nouvelle » surtout que les sanctions prévues sont graves. Selon Reporters sans frontières « cette amphibologie laisse une latitude d’interprétation absolue aux services de sécurité et au parquet permettant ainsi de criminaliser le travail d’information et de remettre en cause le droit à la protection de sources et nombre d’engagements internationaux de l’État tunisien ». C’est la raison pour laquelle, les députés qui sont derrière l’initiative de la proposition de loi estiment qu’il est nécessaire de lever l’ambiguïté se trouvant dans l’article 24 dudit décret, qui constituent une épée de Damoclès sur la tête de tout auteur d’une publication dans laquelle il y a une critique d’un évènement politique ou d’un acte gouvernemental. Pour Bassem Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme « le décret 54 représente, aujourd’hui, l’une des initiatives visant à mettre les acquis démocratiques en péril. Il s’agit d’un outil utilisé par le pouvoir pour porter atteinte à des droits déjà reconnus. Mais nous tenons à défendre cet ensemble d’acquis et nous sommes déterminés à réaliser plus d’acquis en faveur de la Tunisie et des droits et les libertés ».
Promotion des principes démocratiques
Concernant l’adhésion de la Tunisie à la convention de Budapest sur la cybercriminalité, le député Yasser Mami a précisé que le Conseil de l’Europe avait contesté deux articles du décret 54, notamment l’article 6 relatif au stockage des données durant deux ans et l’article 24 en rapport avec la propagation des fausses informations et la diffamation, considéré comme étant un article portant atteinte aux libertés. Par contre, pour d’autres observateurs tels que Riadh Jrad, le chroniqueur précité « l’initiative d’amendement du décret 54 présentée par certains députés qui ont été trompés, constitue une atteinte au processus du 25 juillet et me rappelle celle du 30 mars 2022, par les députés de l’ancien parlement dissous, qui avait pour but d’annuler les arrêtés et les décrets, prise par le président de la République depuis le 25 juillet 2021. Par conséquent, pas de retour en arrière ». Est-ce à dire que l’amendement du décret 54 constitue un retour en arrière, ou plutôt une avancée dans les résolutions prises par les institutions démocratiques sur la voie de la bonne gouvernance et de l’Etat de droit ? La réforme de la loi afin qu’elle soit appliquée à tous sur un pied d’égalité, a été parmi les premières préoccupations de Kais Saied, dans le sens de la préservation des acquis de la démocratie et des valeurs de la République.
Ahmed NEMLAGHI