La Tunisie occupe une place préoccupante sur l’échiquier mondial en matière de migration qualifiée. Selon l’universitaire Samir Hamdi, intervenant lors d’un symposium de formation organisé par la Fédération générale du pétrole et de la chimie, le pays se classe deuxième en Afrique et dans le monde arabe en termes de fuite des compétences. Un constat alarmant, qui met en lumière une problématique complexe et urgente : la perte croissante de talents hautement qualifiés.
La migration qualifiée tunisienne touche divers secteurs stratégiques. Parmi les données les plus marquantes, Samir Hamdi a révélé que 8 500 ingénieurs ont quitté le pays, cherchant de meilleures opportunités professionnelles à l’étranger.
Ce chiffre s’inscrit dans un contexte où la Tunisie investit massivement dans la formation de ses cadres, mais ne parvient pas à les retenir.
Dans le secteur médical et paramédical, la situation est encore plus préoccupante. Pas moins de 41% des émigrés tunisiens proviennent de ces professions. Cette hémorragie a des conséquences directes sur la qualité des soins dans le pays, déjà fragilisé par des infrastructures insuffisantes et un manque de ressources humaines qualifiées.
L’éducation et la recherche scientifique ne sont pas en reste. De nombreux universitaires tunisiens brillent dans les institutions arabes et internationales, contribuant ainsi à leur montée dans les classements mondiaux. Cependant, cette reconnaissance internationale met en exergue une triste réalité : ces talents enrichissent les systèmes éducatifs étrangers au lieu de contribuer au développement national.
Les causes d’un exode préoccupant
Plusieurs facteurs expliquent l’ampleur de la fuite des compétences en Tunisie. Les conditions de travail jugées insatisfaisantes, les salaires peu compétitifs et le manque de perspectives d’évolution professionnelle poussent de nombreux talents à chercher des opportunités à l’étranger. À cela s’ajoutent une instabilité économique persistante et un climat général souvent perçu comme peu propice à l’épanouissement personnel et professionnel. Ces raisons combinées créent un sentiment d’insécurité et d’insatisfaction, poussant les profils qualifiés à quitter le pays pour des environnements offrant de meilleures perspectives.
Un impact majeur sur l’économie et la société
La fuite des compétences a des répercussions profondes sur l’économie et la société tunisienne. Le départ de ces talents prive le pays de ressources humaines indispensables pour la croissance et l’innovation. Par exemple, le déficit d’ingénieurs et de médecins affecte directement des secteurs clés comme la santé, les infrastructures et les nouvelles technologies. En outre, cette fuite des cerveaux constitue une perte financière pour l’État, qui investit dans la formation de ces compétences via des établissements publics. Ce cercle vicieux exacerbe les inégalités et ralentit les réformes nécessaires pour améliorer la qualité des services publics.
Un appel urgent à une stratégie nationale
Face à cette situation préoccupante, Samir Hamdi insiste sur la nécessité d’améliorer de manière globale le climat de travail en Tunisie et d’élaborer une stratégie nationale ambitieuse pour enrayer l’exode des talents. Cette démarche pourrait inclure des mesures pour rendre les postes locaux plus attractifs sur le plan salarial et professionnel, tout en renforçant les infrastructures et les conditions de travail dans des secteurs essentiels comme la santé et l’éducation. Il est également crucial de mettre en place des initiatives incitant les compétences expatriées à revenir, en leur offrant des opportunités et des conditions qui valorisent leur expertise et leur expérience. Une telle stratégie, portée par une vision claire et un engagement ferme, pourrait marquer un tournant décisif dans la lutte contre la fuite des cerveaux.
Redonner espoir à une génération talentueuse
La fuite des compétences n’est pas une fatalité. Avec une vision claire et des actions concrètes, la Tunisie peut inverser cette tendance et valoriser son capital humain. Le défi est grand, mais les bénéfices pour le pays seraient immenses : une économie plus dynamique, des services publics renforcés et une jeunesse retrouvant confiance en son avenir dans son propre pays.
Alors que de nombreux Tunisiens brillent sur la scène internationale, il est temps de transformer cette reconnaissance mondiale en un levier de développement national. La Tunisie ne peut se permettre de continuer à voir ses meilleurs talents partir. C’est une question de survie économique et de dignité nationale.
Leila SELMI