Le Temps News : Qu’est ce que la maladie d’Alzheimer ? Est-ce que ça touche énormément les tunisiens ?
Maha Ben Moallem :La maladie d’Alzheimer est une pathologie neuro-dégénérative d’évolution progressive et incurable, découverte en 1906 par Aloïs Alzheimer, qui touche le cerveau donnant une mort progressive des neurones réduisant ainsi les réserves cognitives du patient et s’exprimant par plusieurs symptômes ou signes cliniques dont la principale est l’altération progressive de la mémoire. L’ensemble des signes cliniques donnent une démence ou trouble cognitif majeur.La maladie d’Alzheimer est la cause la plus fréquente de démence dans le monde. C’est une maladie multifactorielle causée par plusieurs facteurs de risque mais dont l’âge est le principal facteur de risque non modifiable.
En Tunisie, et en raison du vieillissement de la population et de la transition démographique que connaît le pays ces dernières années, les maladies neurodégénératives voient un accroissement considérable de leurs prévalences, en particulier la Maladie d’Alzheimer. En effet, selon les données nationales publiées en 2014, le taux de prévalence de la démence a augmenté de 24 % durant la dernière décade. Ainsi, en se basant sur les données démographiques de 2012, la prévalence de la démence a été estimée à près de 4,6 % de la population tunisienne âgée de 65 ans et plus et celle de la Maladie d’Alzheimer avoisinait les 3,2 % dans cette même tranche d’âge.
Comment la maladie d’Alzheimer agit-elle sur le cerveau?
La physiopathologie de la maladie d’Alzheimer se résume à des dépôts excessifs et anormaux donc pathologiques de substance protéique qui ne devrait pas l’être normalement. Ces dépôts se font à l’intérieur et à l’extérieur de la cellule neuronale donnant deux lésions anatomopathologiques du système nerveux central entraînant une perte neuronale (perte synaptique et une mort cellulaire ): – La dégénérescence neurofibrillaire (DNF) est constituée d’amas fibrillaires de protéine Tau phosphorylée (Tau stabilise les microtubules), en cours de dégénérescence, au sein du neurone entraînant un dysfonctionnement du corps cellulaire neuronal par rigidification. Les plaques amyloïdes/séniles extra neuronales sont constituées de dépôt central de la protéine Béta amyloïde .Ces anomalies touchent en premier lieu l’hippocampe (région responsable de la mémoire) avec des troubles de la mémoire épisodique, puis on note l’apparition d’un syndrome aphaso-apraxo-agnosique avec la diffusion de la maladie vers le reste du cerveau. Les processus neurodégénératifs de la maladie d’Alzheimer commencent de 20 à 30 ans avant les manifestations cliniques.
Existe-t-il un terrain plus favorable pour développer la maladie ?
La Maladie d’Alzheimer est une pathologie multifactorielle dont l’âge constitue le principal facteur de facteur de risque non modifiable. D’autres facteurs de risques modifiables ( on peut les modifier ) sont aussi étroitement liés à cette maladie tels que les facteurs de risque cardiovasculaire, comme l’hypertension artérielle, le diabète, l’obésité, et les dyslipidémies. Ils sont tous associés à un risque majeur de survenue de la maladie.Des formes très rares héréditaires sont aussi décrites.
Comment pose-t-on le diagnostic sur la maladie ?
Le diagnostic de la maladie d’Alzheimer ne peut se poser avec certitude qu’après autopsie et visualisation des lésions anatomiques du cerveau mais un faisceau d’arguments cliniques, biologiques et radiologiques avec une description évolutive peut évoquer fortement le diagnostic de la maladie d’Alzheimer qui reste l’apanage des spécialistes de la maladie ( Gériatre, Neurologue et psychiatre).
D’autres nouveaux examens ( étude des biomarqueurs dans le LCR ou Imagerie moléculaire ) qui ne se font pas en Tunisie peuvent poser le diagnostic de façon précoce parfois avant l’apparition des signes cliniques.
Quelles sont les prises en charge possibles ? Quel est le rôle du gériatre?
La prise en charge de la maladie est pluridisciplinaire faisant intervenir le médecin de première ligne pour évoquer la maladie (d’où la nécessité d’une formation), spécialiste de la maladie pour retenir le diagnostic et prescrire et ordonner le prise en charge mais aussi le médecin de première ligne et les autres spécialités paramédicales (kinésithérapie, infirmier orthophonie ….) pour l’exécution et le suivi.
Le gériatre joue en plus du rôle du spécialiste de la maladie, le rôle de chef d’orchestre pour coordonner entre ces différents acteurs de la santé. Il est en plus le médecin qui peut prendre en charge simultanément les différentes maladies ou syndromes gériatriques dont le patient Alzheimer pourra être atteint vu l’âge souvent avancé.
Quels sont les traitements accessibles aujourd’hui ? Y a-t-il des structures pour prendre en charge les patients en Tunisie ?
Les traitements spécifiques de la maladie d’Alzheimer sont disponibles en Tunisie et certains sont remboursés par la CNAM. D’autres ne le sont pas malgré leur intérêt comme la mémantine indiqué dans les stades modérés et sévères de la maladie.
Mais le problème de la prise en charge de ces patients n’est pas uniquement dans le remboursement des médicaments (spécifiques et non spécifiques) puisque ces patients nécessitent souvent d’autres soins assez chers (séances de stimulation cognitive, séances de kinésithérapie ou d’orthophonie , intervention d’ergothérapeute, des visites à domiciles et même des hospitalisation à domicile) qui ne sont pas pris en charge ni remboursées par l’état. C’est l’une des maladies qui coûte très cher en termes de dépenses.
Pour les centres , à ma connaissance, il y a le centre Alzheimer à l’hôpital Razi dirigé par Dr Guider Riadh qui prend les patients en hospitalisation de jour et en secteur privé le centre AFA est dirigé par Dr. Afef Hammami
Vos recommandations pour bien prendre en charge ces patients ?
Je pense qu’il faut surtout multiplier la sensibilisation des gens par rapport à cette maladie et évoquer souvent les moyens de prévention ( sport, bonne alimentation, niveau de scolarité, maladies cardiovasculaires équilibrées….) et surtout ne pas banaliser les plaintes mnésiques de notre entourage et consulter au moindre soucis un spécialiste de la maladie pour une meilleure prise en charge précoce qui peut retarder l’évolution voir la freiner vers la démence sévère et garantir ainsi longtemps la dépendance de la personne malade.
Propos recueillis par Kamel BOUAOUINA