Par Raouf Khalsi
« L’histoire sociale enseigne qu’il n’y a pas de politique sociale sans un mouvement social capable de l’imposer ». C’est Pierre Bourdieu, l’un des sociologues les plus percutants de la deuxième moitié du XXème siècle qui place cette réflexion ayant sérieusement bousculé le confort des politiques. Qu’entend-il par « mouvement » ? Certainement pas une déflagration à la Janvier 1978 de chez nous. Les commentateurs de son œuvre concluent plutôt à une « politique » d’Etat-pourquoi pas- ! qui tire le social vers le haut. Sans le dire expressément, Bourdieu interpelle l’Etat. Parce que, lui seul, est à même d’établir les politiques de gouvernance. Par ricochet, en creusant encore plus dans sa pensée, cela n’a rien de révolutionnaire dans le sens classique du terme. Ici, le mouvement social doit être insufflé par les décideurs.
On sait que la Sociologie politique est un océan d’idées, d’axiomes, de règles, et que tous ces pendants ont, eux-aussi, quelque chose de rationnel.
Et, alors, on voudrait bien comprendre (pour tout transposer aux mutations actuelles de chez nous) si la nouvelle orthodoxie de Kais Saied (Le peuple veut) a la dimension éthique de déclencher un véritable « mouvement social »( puisque l’Etat se perd en conjectures) tandis que sa philosophie égalitaire est en passe d’être récupérée par des « initiatives » en soutien au 25 juillet, et que toutes ces « initiatives » ont l’air d’oublier ce que « Le peuple veut » pour s’implanter sur le terrain rigoureusement politique. C’est, donc, la foire aux tribuns récupérateurs. Mais où est le Social dans tout cela ? Ils sont même loin du Social quantitatif que prône Saied. Qui, alors, devrait être le fer de lance de ce « mouvement social » dont parle Bourdieu ?
Il est clair que l’UGTT n’en a plus la force, ni les moyens. Parce qu’elle pèche par excès de statisme, dans ce marécage d’imprécations et de vociférations sonnant désormais le tocsin d’un combat d’arrière-garde. De surcroît, elle ne sait toujours pas se positionner encore par rapport au fait accompli du FMI et en fonction des contraintes du gouvernement Bouden. Un gouvernement qui hérite d’une situation catastrophique, mais qui doit, à tout prix, sauver les meubles.
En l’état actuel des choses, Najla Bouden doit inventer une équation sociale miraculeuse. Quelle politique ? Lui sera-t-il permis d’insuffler ce « mouvement » dont parle Bourdieu ?
Déjà, en soi, le casse-tête de la levée des compensations s’annonce presqu’indéchiffrable pour une population qui compte désormais quatre millions de nos compatriotes vivant dans la précarité et la pauvreté.
Pareilles situations, la Tunisie les avait connues. Chaque fois, elle s’en est sortie en réinventant l’Etat-providence. Un Etat rassembleur aussi.
Cet Etat-providence, c’est finalement notre destin. Notre planche de salut. A la fin des fins, tout consiste à savoir si l’horloger réparera l’horloge détraquée.