Par Raouf KHALSI
Lors de la première législature après la révolution, le dossier de la criminalisation de la normalisation avec Israël a été mis sur la table. On en a beaucoup débattu, mais de manière stérile, puisqu’à l’époque l’omnipuissante Ennahdha s’est arrangée pour que le projet soit étouffé dans l’œuf. Il est vrai que rien ne se faisait sans l’assentiment du Qatar.
Aujourd’hui, le projet rebondit et tout indique qu’il sera voté à l’unanimité par le parlement. Le moment est (malheureusement) propice : Israël a franchi toutes les limites du crime.
Propice aussi, parce que la rue manifeste, s’indigne, bouge, crie au massacre, ce qui a valu à la Tunisie et à son peuple d’être à l’avant-garde de la défense de la Palestine, sans vraiment s’empêtrer dans des considérations dissociatives : la résistance palestinienne est une et indivisible, même si un fossé abyssal sépare le Hamas de l’Autorité palestinienne.
On sait que notre pays est habile à mettre en scène une kyrielle de sensibilités politiques et que l’unité de la Nation demeure, depuis l’indépendance, un projet inachevé.
Voilà donc que, dans certaines plateformes médiatiques et dans des sphères politiques, on s’interroge sur ce que coûtera à la Tunisie son « antisionisme », cependant que l’amalgame avec l’antisémitisme est vite établi. En termes plus simples, on brandit la menace d’un isolement de la Tunisie et d’un repli des investissements occidentaux dans notre pays. On va même plus loin : désengagement total des IDE et, extrême loufoquerie, le FMI, la Banque mondiale et les agences de notation seraient, à l’heure qu’il est, en train de fourbir leurs armes punitives contre le pays.
Peut-être. Soit. Essayons quand même de raisonner.
Depuis son élection et depuis, surtout, le 25 juillet, Kais Saied est dépeint comme un « dictateur » par l’Occident. On ne lui a guère accordé de préjugé favorable, surtout qu’il a cloué l’islam politique au pilori. En dehors de l’Italie, les capitales européennes toutes assujetties à Washington, ont programmé leurs foudres sur Tunis. A l’intérieur, l’opposition utilise la formule : « coup d’Etat ». Oui, mais coup d’Etat contre qui ? Si c’est contre Ennahdha, il suffirait de se remémorer la décennie noire avec ses abus et ses injustices sur fond de détournement de la « révolution de la dignité ».
Mais il y a un autre son de cloche : selon certains « érudits » de la sociologie politique, le régime instrumentaliserait la question palestinienne pour détourner l’attention du peuple de ses magmas existentiels. Loufoqueries. Précisément parce que c’est bien Saied lui-même qui livre bataille contre la cherté de la vie et les dysfonctionnements institutionnels.
Simple : lors de sa visite inopinée à la Cité Al-Intilaka et à Mnihla, les citoyens lui ont autant parlé de Palestine que de leurs problèmes au quotidien. Aucun regard n’est donc détourné. Et Saied n’est vraiment pas adepte de la fameuse fabrique du consentement, cet immense laboratoire occidental ralliant les âmes à la « cause » d’une entité sanguinaire.