Par Raouf KHALSI
La révolution culturelle annoncée par le Chef de l’Etat n’est ni l’expression des manifestations d’arène et, encore moins, le support d’une hégémonie culturelle comme celle prônée par Gramsci, le célèbre marxiste non conformiste italien. Elle n’est pas non plus induite –comme c’est classique- par des relents de lutte des classes. Il s’agit de l’indispensable émergence d’une identité, d’une histoire, d’une histoire exclusive et qui puise ses racines dans un prodigieux brassage des cultures, des civilisations, des religions, et le tout drapé d’une anthropologie haute en couleurs.
Très vite, le débat s’installe dans les sphères de la bienpensance et des « élites » (où ce qu’il en reste) , entre oui et non , ne sachant trop si cette révolution culturelle est destinée à leur redonner du poil de la bête , ou qu’elle est dévolue au peuple dont elles sont loin , simplement à cause d’un certain déterminisme : depuis la révolution , les « élites » sont figées , robotisées même dans de vieux paradigmes désuets d’une ploutocratie ayant systématiquement adopté le stratagème de l’entonnoir politique.
Les élites qui prétendent être privées de s’exprimer ?
Que proposent-elles comme vision futuriste pour le pays ? Il a eu raison Hichem Djaïet d’affirmer qu’il préférait parler aux morts. Justement parce que ses pairs (les élites) se sont laissé broyer par l’égocentrisme politique.
Parce que les « élites » auront dès le départ de la révolution raté le coche, parce qu’en fait, elles n’y auront rien compris.
Qu’est-ce qui s’est produit le jour du 14 janvier 2011 et, même, durant les mois qui l’ont précédé ? Tout bonnement une révolution en bonne et due forme. Mais c’était la révolution des jeunes, pour la dignité et contre la ségrégation régionale. Dans la cité, le mot « Dégage » était entonné en chœur. Contre la dictature qui-étrange retour des choses- fait aujourd’hui des nostalgiques comme par une espèce de magie noire toute faite de révisionnisme historique. Cette nostalgie s’apparente aussi au fameux syndrome de Stockholm : l’otage s’éprend de son geôlier. Captifs d’une dictature policière de 23 ans, ces nostalgiques préfèrent le faux confort de l’asservissement.
Or, très vite une chape de plomb s’abattait sur le pays. Parce que la révolution a été détournée de ses fondamentaux. Parce qu’à peu de frais la ploutocratie prenait le change. Celle-ci n’a pas proposé un monde nouveau. Et, pourtant, le vieux monde se mourait. Gramsci dit : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les démons ». L’oxymore de Gramsci est aisément transposable sur ce qui s’est très vite produit chez nous après la révolution : les démons venus remplacer la dictature, mais qui en auront vite fait de verrouiller le pays en une décennie désormais drapée de noir, ignorant les complaintes du peuple et ne se ravisant même pas de prêter l’oreille aux grondements sourds contre un système mis en place par Ennahdha, avec les satellites qui tournaient autour. Au point qu’un Hichem Mechichi, pourtant nommé par Saied à la Kasbah, tombait dans le piège du grand méchant loup qui lui offrait un « coussin politique ».
Nous épiloguerions longtemps sur les sept péchés capitaux dont se sont rendu coupables les « patriarches » ayant gouverné durant cette décennie-là.
Sauf que le problème ne réside pas tant dans l’overdose partisane que dans les louvoiements ayant séduit les « élites ». Partis cocotte-minute, tribuns récupérateurs et réalité drapée de slogans qui auront duré « le temps qu’il faut » pour catapulter le pays dans les trajectoires faussement idéologiques, à coups d’alliances contre nature (Ennahdha-Nida Tounes par exemple) et dans des lobbys au service d’agendas étrangers.
Aujourd’hui, les « élites » sont dépassées par les évènements. Elles confondent même entre ce qui est populaire et ce qui est populiste. En retard d’une guerre, elles sont confondues dans des brumes passéistes et d’un autre âge. Hichem Djaïet continuera de parler aux morts…